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SUR LE DETACHEMENT… De Maître ECKHART

Abstract : Ou comment le mystique peut se fondre dans la divinité selon Eckhart.

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MAXIME LE CONFESSEUR…

Héraut de la christologie dans le parcours des Pères de l’Eglise

Introduction

                La théologie chrétienne dans toutes ses émanations sans exception, tourne autour de la christologie ; c’est – à – dire, la réflexion, ou mieux : les réflexions sur Jésus – Christ, sa personne et son enseignement, c’est – à – dire : ses paroles et ses actes. Elle porte également sur les réflexions qui se sont développées dès l’origine sur la foi du chrétien, une foi qui repose sur la nature de la personne de Jésus Christ et sur celle de son enseignement dans le cadre des données du judaïsme de son temps, données qui furent très rapidement affirmées comme un pré-requis.

Il s’agit essentiellement des débats qui ont eu lieu, et qui ont cours encore, sur la nature du Christ, à savoir son identité, voire sa fonction, et sur son œuvre ; ce sont là, les trois aspects que l’on prend généralement en compte dans la sotériologie selon le christianisme. En d’autre terme, la christologie doit être vue comme l’essence du christianisme en cela que c’est par elle que l’enseignement de Jésus se positionne par rapport au judaïsme ; c’est encore par la christologie que nous pouvons expliciter le déploiement de l’enseignement de l’homme Jésus dans son temps et tout au long des siècles ; c’est enfin par elle encore que le christianisme peut espérer entrer en dialogue, s’il le souhaite vraiment, avec d’autres croyances qui se sont fixé le salut de l’homme comme but.

Les bases de la christologie se sont mises en place très vite après la crucifixion, dès l’époque de Saint Paul et l’ère apostolique au milieu du premier siècle ; cette mise en place se fit à partir de la fulgurance du triptyque crucifixion, tombeau sans dépouille et apparitions ; c’est en effet ce triptyque qui initia très tôt – sans doute dès le premier dimanche pascale – tout le questionnement christologique.  La formulation dogmatique ainsi initiée à travers ce questionnement va se poursuivre jusqu’au septième siècle, pour la définition et la mise en place des fondements du dogme, et jusqu’à notre époque, pour sa continuelle exploration dans une ouverture au monde qui est vu différemment désormais, dans la forme tout au moins, de ce qui avait cours dans les vingt premiers siècles d’existence du dogme christologique.

Saint Maxime Le Confesseur, considéré comme l’un des derniers Pères de l’Eglise, se situe à la fin de la première période de réflexion après l’ère apostolique. Il prit part aux débats et assista aux soubresauts qui vinrent clore la définition du socle de la foi et de sa pratique ecclésiologique.

La réflexion christologique débuta par l’oscillation entre deux approches, deux schémas de pensée qui sont :

Une christologie fondée sur l’articulation LOGOS – SARX

Une christologie fondée sur l’articulation LOGOS – ANTHROPOS

 Dans ce bref aperçu, je propose d’examiner l’apport de Saint Maxime Le Confesseur aux débats christologiques selon les étapes suivantes :

                L’homme

                L’époque :

                               Le contexte politique

                               Le contexte religieux

                Schéma christologique

                Dans la controverse

                Sa pensée

                Logos – tropos

                Une vision de l’homme

                L’homme divinisé

                Le Christ unificateur

                Conclusion

L’homme (avant le combat théologique)

Maxime Le Confesseur est né en 580 à Constantinople, (certains prétendent cependant qu’il serait né en Palestine). Il est issu d’une famille aisée et cultivée ; on peut en déduire qu’il a reçu une éducation complète et soignée. On peut penser également que sa famille est très proche des hautes sphères de l’administration impériale, proche en tout cas de l’empereur Héraclius dont il devient le premier secrétaire à trente ans, fonction qui le situe au cœur de l’Etat ; il en est sans doute l’une des élites.

A trente quatre ans, en 614, il quitte la vie laïque pour entrer dans les ordres au monastère de Chrysopolis en Bithynie, (aujourd’hui Üsküdar, un district d’Istanbul en Turquie situé sur la rive orientale du Bosphore). Il prit cette nouvelle orientation de sa vie sans doute parce qu’à l’époque, être moine est la meilleure situation pour étudier, réfléchir et méditer ; pour Maxime, c’est aussi répondre à l’appel du besoin d’approfondir sa foi. Quelques années plus tard, il change de monastère ; puis, devant la dégradation de la situation politique face à l’avancée des armées Perses, il s’exile en Crète d’abord, puis en Afrique près de Carthage ; là, il se joint à un groupe de moines orientaux, c’est à cette occasion qu’il rencontra Sophrone, celui – ci va compléter et affiner sa formation de théologien. Maxime approfondit sa foi, sa pensée théologique s’affirme auprès de ce maître, c’est l’époque de ses premiers écrits, lettres et traités qui sont consacrés à la défense de la foi chrétienne, ce sont là des signes de sa maturité en tant que théologien. C’est également le moment où il fait son entrée dans le combat théologique aux cotés de Sophrone ; nous y reviendrons.

L’époque

         A – Le contexte politico – social

A la naissance de Maxime, l’empire romain n’existait plus comme tel, c’est – à – dire une entité politique homogène dont la puissance est superbe, voire arrogante ; ni comme celui, déjà sur le déclin à l’avènement du christianisme naissant, ni comme l’empire tel que Constantin le dirigea. Le bicéphalisme, imaginé un temps comme la solution à l’extrême difficulté de gouverner un ensemble aussi vaste et aussi disparate socialement et culturellement, n’avait plus cours ; ce système avait fait place à deux entités, l’une pontificale, centrée à Rome, et l’autre, l’empire Byzantin ou empire d’Orient à gouvernance laïque pour l’essentiel en principe,  et qui est dirigée depuis Constantinople ; ces entités étaient bien distinctes, mais elles conservent encore de solides liens d’où toute compétition n’étaient pas exclues ; l’universalité du christianisme était au nombre de ces liens.

A Rome, depuis Léon Le Grand – et peut être avant lui – c’est le pape et son clergé qui président à la destinée de ce qui fut l’empire romain d’Occident ; l’influence de la Rome pontificale s’étendait à l’Ouest européen surtout, mais aussi sur l’Afrique du Nord ; il y eut certes des  menaces, celles des Visigoths, Ostrogoths et Vandales… mais dans cette partie de la chrétienté, il y avait, du temps de Maxime, une relative harmonie entre la gestion politique et la gouvernance religieuse.

En Orient, l’empire romain d’Orient perdure, c’est l’empire byzantin, gouverné par l’empereur. Ici, l’imbrication  des affaires civiles et religieuses est telle qu’on parle de césaro-papisme, suivant en cela l’exemple que donna Constantin jadis après sa conversion au christianisme. Si la Rome impériale puis pontificale dut affronter les menaces Vandales, Wisigoths, Ostrogoths… notamment au Vème siècle, l’empire byzantin dut affronter au temps de Maxime, les armées perses, puis, les troupes musulmanes qui se lançaient à l’assaut du monde. C’est dans ces affrontements que se place la raison des exils de Maxime Le Confesseur ; c’est également ces incertitudes qui justifient les efforts des autorités (civiles et religieuses) de l’empire byzantin pour réveiller un sentiment national en faveur de l’Etat impérial. En effet, l’empire se trouve face au même type de problèmes qui amena l’empereur Constantin quelques siècles plus tôt à voir dans le christianisme un possible ciment d’unité nationale ; cette fois, les querelles christologiques en cours avaient fragilisé notamment les régions de l’empire qui étaient aux prises avec les envahisseurs ; désunions qui entraînaient ou risquait d’entraîner des défections à l’avantage des envahisseurs.

                BLe contexte théologique

Quand Saint Maxime Le Confesseur entre en scène, le débat théologique avait déjà largement posé les bases de la christologie, et donc de la foi chrétienne, en cela que les conclusions qui furent validées par les quatre premiers conciles – Nicée (325), Constantinople I (381), Ephèse (431) et Chalcédoine (451) –  étaient largement reçues. Certes la réception des conclusions de ces conciles n’a pas clos pour autant le débat théologique, ni alors, ni du temps de Maxime, ni maintenant à notre époque… en effet, des résurgences des positions condamnées par les conciles, ou la non réception totale ou partielle de leurs conclusions relancent le débat, doublé le plus souvent par une compétition entre sièges épiscopaux, hormis celui de Rome, considéré par tous comme le siège apostolique majeur incontestable. Ainsi, si la primauté de Rome n’est pas contestée, il existe une réelle compétition entre Antioche, Alexandrie et Constantinople. Les deux premiers sont de véritables creusets de la pensée et de la réflexion théologique depuis les origines ; Antioche et Alexandrie  sont des écoles de pensée reconnues ; ces deux centres cherchent à assurer leur contrôle sur le troisième – Constantinople – qui est le siège du pouvoir politique. C’est dans ce contexte que nous devons placer les débats christologiques entre Cyrille (Alexandrie) et Nestorius (un antiochien patriarche à Constantinople).

Il est peut – être souhaitable de rappeler ici les principales positions christologiques qui se sont manifestées depuis la période post – apostolique. Les deux schémas que nous donnons plus haut peuvent se voir associer les deux centres de réflexions qui sont Alexandrie, pour le schéma Logos-Sarx, et Antioche pour le courant Logos-Anthropos ; deux centres de réflexion qui ont pris la suite de Jérusalem assez tôt, y compris pendant les temps apostoliques, pour conduire la réflexion théologique bien avant Rome et bien avant Constantinople.

Pour être complet, il faut dire qu’il y a encore un niveau au dessus de ces schémas, c’est celui où il a fallu répondre à la question préliminaire sur la nature divine ou humaine de Jésus. Ce niveau ou cette interrogation découle directement de la fulgurance dont il est question plus haut, il se place donc immédiatement après les apparitions du crucifié. C’est aussi la première différentiation dans l’approche des premiers « chrétiens » quant à la nature du Jésus ; car, chacune des trois propositions  entraine une réponse et un développement « théologiques » différents : ébionite, docétisme, adoptianisme (pour les relations Père – Fils)… De cette interrogation, découlent sept siècles de débats… et de fureur !

La proclamation de Jésus à la fois Dieu et Homme s’imposa à la majorité de ses adeptes dès le temps apostolique à la suite de Saint Paul notamment, comme une vérité de foi ; mais, le questionnement se poursuivit avec le souci d’une recherche toujours plus affinée – et plus affirmée – de la vérité de la foi, d’où les deux approches qui sont signalée plus haut. Ainsi :

                * Jésus – Christ est le sauveur ; c’est lui qui donne accès à Dieu, parce qu’il est consubstantiel à Dieu (Nicée, an 325, positionne le dogme face à l’arianisme).

                * Si Apollinaire, évêque de Laodicée s’inscrit bien dans la proclamation de foi de Nicée, cela ne l’empêche pas de considérer que l’incarnation de Jésus se fait dans une nature humaine incomplète, sans le Noos, car, le Christ le possède déjà dans le Logos. Ce qui revient à dire, selon Apollinaire, que l’incarnation ne porte pas sur la raison humaine, mais uniquement sur le soma et la psyché. C’est l’expression du schéma Logos-Sarx. Le concile de Constantinople I (381) condamne cette vision et réaffirme que Jésus est pleinement Dieu et pleinement homme, car, accepter la théologie de Apollinaire, c’est proclamer que Jésus n’est pas un homme complet, comme chacun de nous.

                * S’il en est ainsi, la question se pose alors de savoir comment se fait l’union des natures – l’union des deux hypostases dans l’unique personne du Christ.

Question qui amena le patriarche de Constantinople, Nestorius, un antiochien de formation (de l’école d’Eustathe d’Antioche, Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste) à considérer dans le Christ, une nature divine impassible et une nature humaine qui est sujette à la souffrance et à l’émotivité, d’où deux natures unies. La réponse de Nestorius est de dire qu’il y a conjonction entre les deux natures dans une seule personne ; le  risque est alors de penser à l’existence de deux personnes malgré tout.

Le verbe a pris une chair, avec une union psychologique des deux natures qui sont distinctes ; dans ce cas, Marie n’est pas théotokos, mais christotokos, ou mieux : Anthropotokos ! C’est le refus du principe de la communication des idiomes.

Cette vision de Nestorius sur la place de Marie (mère uniquement de l’homme Jésus) dans l’économie du salut allait contre la ferveur religieuse des masses à son égard, ce que ne pouvait accepter la majorité des prélats. En outre, la position théologique de Nestorius est vigoureusement combattue par Cyrille (Alexandrie) pour qui, les deux natures (humaine et divine) coexistent sans qu’il y ait égalité entre elles : « unique nature incarnée (mia phusis) du Verbe de Dieu sans mélange et sans confusion« . La nature est divine ; mais, dire  « incarné », c’est affirmer que le Verbe Divin a fait sienne  l’Humanité du Christ.

Le verbe s’est fait chair ; Marie est donc bien théotokos. Pour Cyrille, il en sort que les deux natures coexistent sans égalité dans l’unique personne du Christ. A y regarder de près, ce « sans égalité » est aussi un refus du principe de la communication des idiomes ! Qui se comprend bien dans le schéma Logos – sarx (Signalons que le débat sur la communication, ou non, des idiomes n’est pas clos si nous prenons en compte la théologie des protestantismes).

Le concile d’Ephèse (431) – en fait, quatre conciliabules : deux alexandrins et deux antiochiens – rondement et adroitement mené par Cyrille et ses acolytes aboutit à la condamnation de Nestorius, mais, tout un pan du christianisme refuse cette condamnation et reste fidèle à la christologie de Nestorius ; ces églises se séparent de Rome et le resteront malgré « l’acte d’union de 433 ». (Les églises nestoriennes –assez disparates, malgré tout, théologiquement – resteront séparées des autres chrétiens, notamment de l’église catholique, jusqu’à récemment où il eut enfin un accord, et donc réconciliation avec certaines d’entres elles.)

                * Poussant plus loin la doctrine de Cyrille, Eutychès, un anti-nestorien ami de Cyrille, aboutit de fait à une seule nature dans le Christ : la nature divine ; c’est la doctrine mono phusis. En effet, pour Eutychès, la nature divine a absorbé la nature humaine au moment de l’incarnation.

Le concile de Chalcédoine (451) condamne Eutychès et le monophysisme ; les Pères réaffirment les déclarations des conciles de Nicée et de Constantinople I, à savoir la définition de Chalcedoine qui dit :

 « Nous reconnaissons, disent les Pères du Concile, un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, vrai Dieu et vrai homme, composé d’une âme rationnelle et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, mais consubstantiel à nous selon l’humanité, « en tout semblable à nous, hormis le péché ». ; né du Père avant tous les siècles selon la divinité, mais aussi de la Vierge Marie, mère de Dieu, selon l’humanité dans les derniers jours à cause de nous et pour notre salut ; un seul et même Christ et Seigneur en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division ni séparabilité, sans que jamais la différence des natures puisse être effacée à cause de leur union, chaque nature gardant ses propriétés ; et en une seule personne ou subsistance, non point partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, monogène, Verbe de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ : ainsi qu’autrefois les prophètes ont parlé de lui, que lui-même Jésus-Christ nous l’a enseigné et que le symbole des Pères nous l’a transmis dans la Tradition.« 

Ceci ne suffit cependant pas à clore les controverses, à tel point que le concile de Constantinople II (553) devra affirmer à nouveau le dogme :

« Si quelqu’un n’admet pas qu’il y a deux nativités du Verbe de Dieu, l’une du Père avant les siècles, intemporelle et incorporelle, et l’autre de ce même Verbe dans les derniers jours, lorsqu’il est descendu des cieux, s’est incarné dans le sein de la glorieuse mère de Dieu, Marie toujours vierge, et est né d’elle, qu’il soit anathème… Si quelqu’un dit qu’autre est le Verbe de Dieu qui a fait des miracles, autre que le Christ qui a souffert, ou que le Verbe de Dieu a été avec le Christ né de la femme ou en lui comme dans un autre, et non pas un seul et même Seigneur Jésus-Christ, Verbe de Dieu incarné et fait homme, et que c’est le même qui a fait des miracles et qui a souffert volontairement dans sa chair, qu’il soit anathème.,. Parce qu’il n’y a qu’un seul Christ, Dieu et homme, le même à la fois consubstantiel au Père et consubstantiel à nous selon l’humanité, l’Église de Dieu rejette et condamne également et ceux qui divisent par partie et ceux qui confondent le mystère de la divine dispensation du Christ… Si donc quelqu’un ne reconnaît pas en Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a été crucifié dans la chair, le vrai Dieu et Seigneur de gloire et l’un de la Sainte Trinité, qu’il soit anathème… « 

Le point central du dogme reste donc : deux natures sans confusion ni changement ni division, chacune ayant ses propriétés, et les deux se rencontrant dans une seule personne.

Voilà brossé à grands traits, le point sur les débats christologiques quant aux fondements doctrinaux, au moment où Maxime Le Confesseur entrait en scène.

Maxime Le Confesseur dans la controverse.

Aussi bien le nestorianisme que la doctrine  monophysite n’a pas disparu à la suite de leur condamnation conciliaire ; ce qui se traduit par des points de résistance importants en Egypte, en Syrie… toute région où la haine du courant majoritaire peut entraîner le ralliement politique des exclus aux nouvelles puissances politiques que sont les Perses d’abord, puis les conquérants islamistes ensuite. Si le césaro-papisme veut utiliser le sentiment religieux comme ciment pour regrouper le peuple autour du pouvoir dans les luttes à venir, il lui faut rallier les tenants aussi bien du nestorianisme que ceux qui, après Chalcédoine, refusèrent d’abandonner les idées de Cyrille (ce sont les non chalcédoniens : Arméniens, Ethiopiens et Coptes).

Ce sera fait avec le pacte d’union dont le but est de tenter de réunir les églises monophysistes ; et surtout, par la proclamation par le patriarche de Constantinople Serge soutenu par l’empereur, du monoénergisme ; ce qui veut dire que le Christ assume le divin et l’humain en lui par une seule activité. (L’artifice permet de mettre entre parenthèses les personnes du Christ et la façon dont elles interviennent). Hélas, l’unanimité ne se fait pas.

La résistance sera d’abord le fait d’un moine, Sophrone, installé à Alexandrie, puis dans un monastère palestinien, avant de fuir devant l’avancée des troupes perses en Egypte. Là, se fit la rencontre avec Maxime ; les deux hommes se retrouvent ensuite à Rome. Devant l’extension de l’opposition menée par Sophrone au concept d’une seule énergie, – Sophrone dénonçant l’ambiguïté du texte – Sergio édite le Psephos où il n’est plus question d’énergie (il est interdit d’en parler), mais d’une seule volonté dans le Christ, il s’agit là du monothélisme. La confirmation au plan dogmatique sera l’Ektèse, un édit qui confesse explicitement le monothélisme.

C’est à l’occasion de l’édition de l’Ektèse que Maxime passe au devant de la scène pour poursuivre le combat de son maître Sophrone. Il prend part, bien que simple moine, au synode de Latran (649) qui condamne le monoénergisme et le monothélisme. L’obstination de l’homme dans la défense des fondements théologiques de la foi conduit à son arrestation à plusieurs reprises, notamment en 653 (avec le pape Martin) ; puis une autre fois en 655. Déporté en Thrace, Maxime le confesseur reste inflexible ; il sera jugé à nouveau en 662 à Constantinople ; devant sa fermeté dogmatique, on lui coupe la main droite et la langue avant de le déporter dans le Caucase ; il meurt en chemin le 13 août 662.

Le concile de Constantinople III (681) confirmera les positions qu’il défendait ; celles qui se fondent sur les deux volontés dans le Christ. La vie de Maxime Le Confesseur ne se limite pas à ses combats ; mieux, on peut dire que les batailles qu’il mena se fondent sur ses certitudes théologiques, produits d’une pensée dense et profonde, une pensée qui est avide de précision.

Sa pensée.

L’engagement de Maxime le Confesseur au service de la christologie dans sa formulation de la Grande Eglise – un Christ, deux natures (divine et humaine), deux volontés (divine et humaine) – repose sur une pensée théologique qui vise un but précis avant tout ; il s’agit de comprendre la nécessité de l’œuvre de salut de l’homme que le Christ est censé venir mettre en oeuvre.

Une économie de la sotériologie qui est nécessaire, car, selon la vision de Maxime, l’être humain se trouve trop livré à son animalité du fait la chute consécutive au péché d’Adam. Il s’en suit que la seule volonté humaine, qui est engluée dans les pulsions, ne peut lui permettre de restaurer sa nature selon le plan de Dieu. C’est là le point de vue du judéo christianisme dans sa totalité, mais avec Maxime Le Confesseur, l’objectif est précisé avec une rare minutie qui s’accompagne d’une ébauche de la structure humaine tant au niveau de l’homme déchu qu’à celui de l’homme considéré dans le plan divin. En effet, la chute par le péché d’Adam est expliquée, comme si la foi ne suffit pas pour amener le croyant à adhérer à l’œuvre de salut. La démarche intellectuelle double donc l’approche par la foi en tentant une analyse de l’agencement de l’homme en sa nature afin que celui – ci adhère par sa raison à la nécessité de son propre salut qui apparait alors comme une restauration.

Cette restauration qui est le salut véritable que la grâce divine permet ne peut se faire que par le Christ, parce qu’il est le verbe incarné, mais par un Christ qui doit librement assumer son humanité pour réaliser cette œuvre salvatrice. L’incarnation est donc un acte central dans la pensée théologique de Maxime le Confesseur. La christologie doit donc souligner l’autonomie et la liberté du Christ, homme et Dieu, qui sont nécessaires pour accomplir l’œuvre de salut. C’est ainsi que la pensée de Maxime voit pour le Christ, et cela conformément au dogme :

                * Une volonté divine ; une, avec celle du Père et une, avec celle du Saint Esprit.

                * Une volonté humaine qui lui est propre.

Qu’il ait eu selon la nature une volonté humaine, tout comme il avait selon l’essence une volonté divine, le Verbe Incarné le montre clairement lui-même par son refus de la mort, refus humain, exprimé par lui, selon l’Economie, à cause de nous. Dans ce refus, il disait : « Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! ». Il disait cela afin de montrer la faiblesse de sa propre chair, et que ce n’était pas par une apparence trompeuse que cette chair était connue de ceux qui la voyaient (il aurait alors trompé leurs sens), mais qu’il était proprement homme, en vérité, ainsi qu’en témoignait sa volonté naturelle de laquelle venait le refus, conformément à l’Economie. (Opuscule 7)

Il revient à Maxime Le Confesseur de préciser la structuration de ces deux éléments (volonté divine et volonté humaine, chacune étant autonome par rapport à l’autre) ; ce qu’il va faire en proposant son propre schéma analytique.

Ainsi par exemple, jusqu’à Maxime, la Patristique – et donc l’Eglise – considère que les deux parties du passage de l’Evangile de Mathieu (Mt. 26, 39) : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Se rattachent :

                * Pour la première, à la volonté humaine du Christ (Père, s’il est possible,…)

                * Et pour la seconde (Toutefois, non pas ce que je veux,…)  à la volonté divine dans le Christ.

Maxime Le Confesseur attribue au contraire, les deux parties à la seule volonté humaine dans le Christ.

                * Le premier passage traduit ce que veut (ou ne veut pas) la nature dans le Christ (en sa nature humaine) ; c’est, dit Maxime, un vouloir de nature : la nature ne veut pas la mort…

                * Le second passage est le signe de la totale liberté du Christ (toujours en sa nature humaine) ; il est attribué à sa volonté de libre choix en tant qu’homme.

Il pose donc que la volonté humaine dans le Christ peut se manifester sous deux facettes, un vouloir de nature et un vouloir de choix, facettes qui ne s’excluent pas et qu’il voit en parfait accord avec la volonté divine en lui. (Voir le texte cité ci- dessus).

On peut noter que par son approche, Maxime Le Confesseur souligne la nécessité des deux volontés, humaine et divine, dans le Christ ; car cette séparation des deux volontés permet de mettre en exergue la structure à deux composantes de la volonté humaine. C’est là, une position qui justifie les conclusions dogmatiques des quatre conciles – les deux natures et les deux volontés – ; c’est aussi une justification de son combat et de sa vie.

Il faut à présent pénétrer la manière dont Maxime Le Confesseur fonde son approche en analysant les considérations théologiques qu’il utilise.

Schéma Logos – Tropos

La réflexion de Maxime Le Confesseur est centrée sur la mise en relation du logos et du tropos. Depuis les Pères cappadociens, il est entendu en effet que dans la Trinité, il y a communion entre les trois personnes si on considère les Logos, puisque contenus dans le Logos de Dieu. Mais, il y a différence entre elles selon la manière dont chacune des trois assume pleinement sa nature. Le tropos ou manière est ce qui distingue chacune des personnes de la Trinité.

Ainsi :

                * Pour la Sainte Trinité : nous avons un seul Dieu selon le logos de nature (divine) ; mais il y a trois personnes selon le tropos. (Le Père, le Fils et le Saint – Esprit diffèrent par leur tropos respectif, d’où, il y a trois personnes distinctes, sans confusion, bien qu’ayant un seul logos, le logos de nature). C’est ainsi qu’à la suite des Pères cappadociens, le christianisme rend le dogme trinitaire accessible aux consciences. Maxime Le Confesseur va adopter une approche similaire pour expliciter l’approche salvatrice appliquée à l’homme ; soit :

                * Pour l’homme : selon Maxime Le Confesseur, nous avons union par le logos de nature, (entendu comme ce qui nous oriente vers Dieu) ; en conséquence, tous les hommes partagent ce logos de nature. Mais, chaque homme est distinct d’un autre homme par son tropos. (Choix individuel et liberté de suivre ou non la voie de Dieu). Le tropos est donc la faculté qui sous-tend notre libre – arbitre ; c’est une propriété strictement individuelle qui relève de la seule responsabilité de l’homme. Il en résulte que :

Selon Maxime Le Confesseur, dire que le Christ est pleinement humain, c’est dire qu’il possède le même logos de nature que nous, les hommes (indépendamment de son logos de nature divin) ; c’est par le tropos que nous différons de lui (indépendamment ici aussi de sa nature divine, bien sur !). Ce qui revient à dire que chez l’homme, le logos de nature n’est pas atteint par le péché originel !

Saint Maxime poursuit en envisageant pour l’homme, trois types de tropos de nature ; il les fonde sur le comportement de l’être humain relativement à son libre arbitre ; ce sont :

                * Le Tropos de nature qui est « contraire à la nature » ; il résulte de l’état de péché. C’est celui de l’homme consécutivement au péché originel. C’est celui dans lequel se trouve l’homme ; c’est la marque de la chute primordiale.

                * Le Tropos de nature qui est « conforme à la nature » ; Maxime le confesseur l’appelle le tropos de vertu. C’est l’objectif que l’homme doit poursuivre ; c’est le tropos vers lequel l’homme doit tendre par sa vie ; c’est la voie du salut entendue comme la part de l’homme dans l’économie de la sotériologie.

                * Le tropos qui est « au dessus de la nature » ; c’est celui du verbe incarné, celui du Christ en sa nature humaine. C’est le tropos que le Christ a acquis par la conception virginale, autre donnée dogmatique. Ce tropos manifeste la différence entre le Christ en tant qu’homme et nous. C’est donc un tropos qui est structurellement hors de notre portée.

Opuscule théologique et polémique 1

« Le vouloir de libre choix, ou gnômique, est ou bien tout à fait selon la nature, ayant alors en tout le tropos de  l’usage, se pliant au logos de la nature, ou bien est exercé par le sujet « contre nature », et le tropos de l’usage de cequi dépend de lui est devenu corrupteur du logos de la nature . . . Ou le logos de la nature est posé comme fondement par le bon usage, ou bien le tropos contre nature est contreposé par le mauvais usage, annonçant, l’un, un choix selon la nature, l’autre, un choix contre nature. »

 Une vision de l’homme.

On comprend dès lors que Maxime Le Confesseur conçoive l’homme comme inachevé, homme à qui il appartient de se réaliser depuis l’origine ; c’est – à – dire qu’il lui faut passer de l’être ayant un tropos de péché à un être de vertu qui possède un tropos conforme à la nature. Cette vision de l’homme se distribue en trois niveaux :

                * Le logos de nature fait l’Être.

                * Le tropos conduit à l’ »être – bien » ou à l’ »être – mal« .

                * Le terme est atteint par la mise en œuvre de la vertu ; ce terme est l’ »être – toujours« .

Ainsi, contrairement à Origène qui voyait l’âme initialement au repos auprès de Dieu avant de se mettre en mouvement, Maxime ne place l’homme en Dieu qu’à l’issue de son achèvement – l’être toujours- ; c’est un achèvement qui est dynamique, car, il fait appel à la participation de l’homme lui – même à travers son tropos, son libre choix, qui doit le conduire à « l’être toujours ». Par rapport à Origène, il y a donc un renversement complet !

L’homme, en puissance par la causalité créatrice (son logos de nature), passe à l’acte selon le libre arbitre (son tropos) dans un mouvement dont l’achèvement est en Dieu. L’homme est donc appelé à la divinisation pour Maxime Le Confesseur.

L’homme divinisé.

La divinisation, c’est – à – dire : l’ »Être-toujours-bien » ne peut émerger sans la grâce divine, car, c’est un projet divin pour l’homme ; un projet que l’homme créé doit mettre en œuvre (ou non) parce que ce projet divin fait partie de son logos de nature ; mais, une mise en œuvre qui intervient sous la conduite de son tropos – son libre arbitre – ce qui entraîne que « l’Être-toujours bien » est un homme en accord avec son logos de nature.

En raccourci, on peut dire que pour Maxime, c’est le renoncement à cet accord qui fonde le péché d’Adam ; ce dernier ayant donné la prééminence à ses sens, en privilégiant sa dimension corporelle au détriment de la spirituelle, et cela, par son tropos de libre-arbitre ; Adam a préféré la philautrie, en particulier dans sa connotation de jouissance vicieuse. C’est là, ce que Maxime Le Confesseur entend par l’homme divisé !

Le dessein de Dieu pour l’homme n’ayant pas changé malgré la faute, une restauration est possible. Il s’agit d’une libération – guérison. L’homme peut être ramené à son état d’origine, mais, seul le Christ peut réaliser cela, si l’homme le veut, parce que le Christ possède la double nature divine et humaine, et parce qu’il possède dans son humanité un tropos au « dessus de la nature« . La rénovation de l’homme laisse le logos de nature inchangé et porte essentiellement sur le tropos ; ce qui veut dire que la sotériologie se place uniquement sur le plan de l’agir humain selon Maxime Le Confesseur.

Ce point est important dans la théologie de Maxime Le Confesseur ; on en déduit en effet que : si la rénovation devait concerner aussi le logos de nature, cela reviendrait à dire que l’acte de création est défectueuse – et a conduit à un homme « défectueux » – et non pas que la création le soit devenue à la suite du péché originel. En conséquence, il apparait que :

                * Le divin dans l’homme (le logos de nature) n’est pas concerné par la chute, même si on comprend qu’il soit dénaturé par le tropos de péché.

                * Tout homme peut être sauvé dès lors qu’il le souhaite et œuvre en ce sens.

Ces deux points s’opposent à toute théologie, ou philosophie, selon laquelle, l’homme est « mauvais » par nature, comme ils s’opposent à toute théologie selon laquelle la grâce divine n’est pas donnée à tous, c’est – à – dire que certains hommes seraient irrémédiablement perdus… comme par essence !

Par l’incarnation, le verbe assume l’homme avant la chute ; cela est essentiel pour que tout l’homme soit rénové. Il apparaît que cette nécessité justifie que le Christ ait deux volontés absolument distinctes. On comprend dès lors l’âpreté avec laquelle Maxime Le Confesseur combattit le monothélisme jusqu’à en souffrir le martyre et en mourir.

Le Christ unificateur

Maxime le Confesseur nous explique que le logos de nature traduit le projet divin chez l’homme, projet que son tropos ou libre arbitre n’a pas réalisé, mais s’y est opposé au contraire ; c’est la chute. La question est alors, selon Maxime Le Confesseur, qu’elle est l’œuvre que l’homme aurait dû réaliser pour éviter la chute ? En d’autre terme, quel est le sens que le croyant doit donner au péché originel. Que ce soit dans le judaïsme – ancien ou rabbinique- ou que ce soit dans le christianisme, le péché originel n’est souvent présenté que comme l’orgueil de l’homme face à son Dieu. Une explication qui n’est qu’une réponse de foi à une question essentielle pour le croyant ; une explication qui est très largement insuffisante, d’autant qu’elle appelle d’autres interrogations.

 Maxime Le Confesseur se doit d’apporter sa contribution à cet aspect aussi du fait religieux. Sa pensée considère l’homme dans le projet divin comme un élément médiateur, médiateur entre le divin et la création dans ses différentes facettes.

Dans ce projet divin, l’homme est libre par son tropos, mais il n’est pas sa propre fin, il ne peut être une fin en soi qu’en choisissant de l’être par son tropos ; ce faisant, il renonce à la médiation qu’il aurait dû assumer ; la chute, c’est donc ce choix, ce renoncement. Cependant, cette attitude n’altère en rien ni sa nature (son logos de nature) ni le projet divin ; on peut alors dire que ce projet de médiation par l’homme reste en attente (et sera assuré par le Christ en sa nature humaine). Une médiation qui reste possible, parce que, par son logos de nature, l’homme reste en liaison avec le divin, cette liaison qui aurait dû servir de « passerelle » au reste de la création pour s’unifier à son créateur, s’il n’y avait pas eu brisure. La mission salvatrice du Christ est de ramener l’homme dans son rôle de médiation, mais aussi servir lui – même de passerelle Nul ne vient au Père que par moi (Jn, 14,6)- Jésus propose donc de réintroduire  l’homme dans le projet, à condition que celui – ci réoriente son tropos avec l’aide de la grâce divine ;  l’homme est ainsi invité à participer au corps mystique du Christ. C’est par le baptême que se fait l’intégration à ce corps ; mais ce corps c’est aussi tous ceux qui sont appelés à la rédemption, c’est – à – dire l’ensemble de l’humanité, d’où l’injonction du Christ : aime ton prochain comme toi – même. Si le lévitique (Lv 19,18) prodigue aussi la même injonction, la synagogue le limite aux siens, c’est – à – dire au peuple de Moïse ; par contre Jésus Christ l’ouvre à l’ensemble des hommes (Marc 12.31), car là se situe le corps mystique du Christ. Le corollaire est que chaque Être est ce corps, d’où tout baptisé qui ne voit pas dans son prochain, quel qu’il soit, le corps mystique du Christ trahi son baptême…et donc, il trahi le Christ et sa mission de rédemption. (Le développement de ce point conduit à envisager une christologie ouverte vers d’autres structures spirituelles dans la mesure où nous avons pour chaque être le même tropos de nature).

L’incarnation conduit au Christ chez qui il y a l’homme réconcilié selon Maxime Le Confesseur ; le Christ, cet homme réconcilié, est aussi le Christ unificateur, c’est – à dire le Christ dans ce rôle de passerelle.

                * Christ unificateur, médiateur par sa naissance, entre homme et femme (biologiques) en un logos de la nature commun.

                * Christ unificateur du Paradis et du monde habité par sa résurrection. Le Paradis, entendu comme la terre utilisée de bonne façon.

                * Christ unificateur du ciel et de la terre par son ascension. La terre entendue comme la création.

                * Christ unificateur du sensible et de l’intelligible par sa remontée  au Père.

                * Christ unificateur, médiateur entre Dieu et sa création. Médiation qui impose l’incarnation : le Verbe s’est fait chair. (Chair entendue comme anthropos selon les Ecritures et selon Saint Paul).

Pour Maxime Le Confesseur, le salut, dans cette vision, passe par trois lois : la loi de la nature, la loi de l’Ecriture, et la loi de la grâce.

                * Par la première loi, le Logos divin fait exister les Êtres.

                * La seconde loi traduit l’intervention de la providence dans la conduite des Êtres, une loi de pédagogie.

                * La troisième loi est l’appel à participer à la nature divine. (le Corps Mystique du Christ).

En d’autre terme, la contemplation de la nature révèle Dieu. L’Ecriture traduit la relation de Dieu avec l’homme. L’incarnation du Christ et son œuvre de salut traduisent la loi de grâce. Le Verbe est créateur, législateur et rédempteur.

Si la déification est l’aboutissement du plan de Dieu, elle ne peut se faire que par, et dans l’incarnation ; d’où la déification est christologique.

Maxime le confesseur précise aussi que l’homme devient Dieu en tout point sauf l’identité d’essence ; c’est – à – dire que l’homme ne devient pas Dieu par essence, même si la déification n’a pas de fin, puisque Dieu est éternel.

Conclusion.

Ces lignes sont un survol de la vie et de la pensée de saint Maxime Le Confesseur. Un survol qui permet de comprendre la vision qu’il avait de sa foi, vision qui fonde le sens de sa vie et de son combat.

Outre Sophrone qui affina sa formation de théologien, Maxime est marqué par l’approche qu’avaient les Pères cappadocien de la christologie ; c’est sur la base de leur réflexion qu’il formula sa vision du tropos. Même s’il a pris le contre-pied d’Origène sur quelques points, notamment sur la question du séjour des âmes, il n’est pas moins vrai qu’il a subi son influence à travers les écrits d’Evagre.  Signalons aussi sa connaissance de la pensée de Denys l’Aréopagite.

La pensée de Maxime influença les réflexions des mystiques chrétiens notamment au moyen âge.

Œuvres (Sélection)

La Mystagogie

Dispute avec Pyrrhus

Opuscules

Les Questions à Thalassius

Les Ambigua

Les Centuries

Centuries sur la Théologie et l’Economie

Bibliographie. (Une sélection)

Saint Maxime le Confesseur de Jean-Claude Larche ; Cerf, 2003

La Divinisation de l’homme selon saint Maxime le Confesseur de Jean-Claude Larche ; Cerf, 1996

Union and Distinction in the Thought of St Maximus the Confessor de Melchisedec Toronen ; Oxford University press 2007

Agir de Dieu et liberté de l’homme : Recherches sur l’anthropologie théologique de saint Maxime le Confesseur de Philipp-Gabriel Renczes ; Cerf 2003

Le Christ et la Trinité selon Maxime le Confesseur de Pierre Piret ; Editions Beauchesne ; 2000

FOI ET RAISON

Foi et Raison en régime chrétien

Deux magistères en direction d’un sujet unique : l’homme ; une manière d’état des lieux sous cette double vision.

 « Fides et ratio binae quasi pennae videntur quibus veritatis ad contemplationem hominis attollitur animus.»

« La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité.»

Cette citation d’ouverture de l’encyclique Fides & Ration du pape Jean Paul II (1998) pose d’emblée la problématique ; à savoir que la foi et la raison procèdent de deux plans différents. Plans différents et non opposés en cela que l’objectif de vérité est commun aux deux. Pour l’homme, la soif de connaître, c’est de cela qu’il s’agit ; c’est – à – dire la contemplation de la vérité, semble pouvoir se satisfaire selon deux voies :* Le savoir par la raison.

* Le savoir par la foi.

Il me semble possible de tenter de dresser une manière d’état des lieux à la lumière des éléments que l’encyclique nous propose, notamment dans son chapitre II par ses rappels aux écrits bibliques ; mais également à travers la démarche des hommes de science.

LES DEUX VISIONS

Le désir de connaitre, la soif de savoir, qui anime les hommes aussi loin que l’histoire et l’archéologie nous permettent de remonter peut être considéré comme l’une des caractéristiques essentielles de la nature humaine, et cela depuis les origines certainement. On peut penser que c’est là que se situe l’un des mécanismes les plus puissants qui sont à la source de sa formidable évolution et de son développement. Nous pouvons sans doute postuler que le ressort qui fait fonctionner ce mécanisme de développement est en partie l’antagonisme qui met face à face la conscience de son être et ce que cela implique – la foi – et son désir irrépressible de connaître par la raison ce qu’il y a derrière le mur qui lui barre l’horizon.

Ce  désir de connaître peut avoir pour objet l’homme lui-même ou bien le monde dans lequel il évolue, ou le plus souvent, les deux. C’est – à – dire que dans un cas comme dans l’autre, la réflexion de l’individu débouche – et cela sans doute très tôt dans le cours de son évolution – sur les questions ontologiques habituelles : qui suis – je ? D’où est – ce que je viens ? Et où vais – je ? … mais également sur d’autres interrogations qui portent l’homme à se pencher sur le monde dans lequel il se trouve ; un monde aussi bien physique, géologique, que sociétal ; c’est – à – dire : que puis – je penser et que puis – je dire sur ce monde qui m’environne ? Comment est – il fait ? Et bien sûr : qui l’a bâti ? Pourquoi et comment je m’y trouve ?

Satisfaire ce désir, c’est répondre ou tenter de répondre à ces questionnements ; cela peut se faire par la raison de l’homme – une autre caractéristique de l’espèce – ou avec la révélation divine dont il a la chance de bénéficier. Si la voie qui se veut passer par la raison repose d’abord sur un discours sur les objets et le tâtonnement encadré ou pas, celle qui emprunte  sa motivation à la révélation repose elle aussi sur le discours ; mais c’est un discours qui se structure par la foi et ses dogmes ainsi que par l’obéissance qu’elle implique. Deux visions donc qui cohabitent aussi bien dans le même individu que dans le même espace géographique et temporel ; c’est pourquoi, il serait malaisé et vain, me semble – t – il de chercher à les séparer. Pour autant, on ne peut inférer que ces deux visions sont en parfaite harmonie ; s’il en était ainsi, la problématique qui nous occupe n’existerait pas. En somme, la voie selon la foi s’appuie sur l’esprit de l’homme adossé aux dogmes, alors que la voie selon la raison s’appuie elle aussi sur l’esprit de l’homme, mais celui – ci fait appel dans ce second cas à l’expérience humaine.

                UN DOUBLE LIEN 

Ces deux voies fondamentales sont distinctes certes, mais elles sont fortement liées. Nous y trouvons un lien profond qui vient de la communauté de leur objet : les questions ontologiques. Nous leur trouvons également un lien qui vient de l’identité de leur support, c’est – à – dire : l’agir et le vivre de l’homme ; nous pouvons parler alors d’un double lien. C’est précisément ce lien double que soulignent magistralement les écrits de sagesse de la révélation divine ; l’encyclique Foi et Raison nous rappelle par exemple : « La Sagesse sait et comprend tout » (Sg 9, 11). Nous trouvons également ce lien en dehors de la révélation, notamment chez les philosophes et les penseurs depuis la plus haute antiquité et cela sous tous les cieux. Dans un cas comme dans l’autre, ce lien se manifeste avec une profondeur et une intensité très variables, mais souligne chaque fois le désir de connaître qui anime l’être humain, notre point de départ.

Ainsi par exemple dans les écrits de sagesse, nous pouvons lire : « Heureux l’homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s’applique à ses secrets. Il la poursuit comme le chasseur, il est aux aguets sur sa piste; il se penche à ses fenêtres et écoute à ses portes; il se poste tout près de sa demeure et fixe un pieu dans ses murailles; il dresse sa tente à proximité et s’établit dans une retraite de bonheur; il place ses enfants sous sa protection et sous ses rameaux il trouve un abri ; sous son ombre il est protégé de la chaleur et il s’établit dans sa gloire » (Si 14, 20-27). Il me semble que c’est ce double lien qu’enseigne l’auteur biblique dans cet extrait en plaçant son propos uniquement sur le plan humain dès lors que par ailleurs, on sait que « Notre cœur ourdit notre voie ; Yhwh assure notre pas » (Pr 16, 9). On ne peut mieux signifier le lien entre Raison et Foi.

C’est encore ce double lien que nous repérons déjà chez les penseurs pré – socratiques, notamment : « Toutes les lois humaines se nourrissent d’une seule loi, la loi divine, car elle commande autant qu’elle veut » (fragment d’Héraclite) ; Raison et Foi donc.

J’aurais pu citer Platon ou Aristote qui, eux aussi avaient manifesté la nécessité de la voie du savoir par la foi – même si nous ne sommes pas dans le cadre de la révélation divine – et de celle qui passe par la raison de l’homme. Plus près de nous, écoutons Erwin Schrödinger, prix Nobel de chimie : « Il s’avère en effet beaucoup plus difficile de rendre compréhensible, de présenter rationnellement, ne serait-ce que le domaine spécialisé le plus restreint de n’importe quelle branche des sciences, si on en retire toute métaphysique. » (« Ma conception du monde, le Veda d’un Physicien ». Erwin Schrödinger. Paris, Le Mail, 1982).

Deux voies donc pour assouvir la soif de connaître qui anime l’homme ; deux voies qui sont liées comme nous venons de le voir et qui de ce fait doivent être en harmonie aussi bien dans l’être individuellement que dans la société dans laquelle il évolue.

Nécessité d’harmonie donc !

Une nécessité d’harmonie qui est soulignée aussi bien par les hérauts de la révélation divine – foi – que par nombre de penseurs et hommes de science qui font profession de foi de rationalité – raison – sans nécessairement rejeter la foi en Dieu. On peut penser à Descartes par exemple, et à bien d’autres avant et après lui.

                LE RAPPORT ENTRE LES DEUX VOIES

Nécessité d’harmonie avons – nous dit ; mais alors quel peut être le rapport entre les deux, à savoir :

* Dieu ne peut être atteint par la raison, ce qui voudrait dire une séparabilité absolue entre la foi et la raison pour, par exemple, l’idéalisme philosophique.

Dans le même ordre d’idées, pour Pascal, par exemple, la foi est une obéissance à un Dieu révélé ; la foi ne peut être un principe de connaissance mais une norme. Donc la foi doit guider l’intelligence ; la raison est subordonnée à la foi.

* La raison seule suffit pour les positivistes ; c’est-à-dire que la religion n’aurait servi qu’à préparer les esprits à l’ère de la science.

De ce point de vue, tout réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel pour Schopenhauer.

La résultante est une crise, en fait, une série de crises.

Crise de la Foi, quand, fort de ses succès théoriques et expérimentaux, la raison, à travers la science et ses œuvres pensa répondre à toutes les interrogations de l’être en ignorant purement et simplement celles qui semblent ne pas entrer – ou pas encore – dans son champ d’application qui est défini unilatéralement.

Certes, la raison prend en défaut les explications traditionnelles de la révélation, mais elle les jauge à l’aune de ses propres références ; la crise qui en résulte est traumatisante au point de conduire le religieux à s’adonner à une intense étude critique des textes fondateurs de la foi chrétienne. Une exégèse qui fut si systématique que les pères conciliaires de Vatican I seront amenés à rappeler que la révélation divine est d’esprit et de caractère surnaturel.

Crise de la foi donc.

Il apparaîtra très vite que la science ne peut répondre à toutes les aspirations de l’homme ; elle ne peut apporter de réponses satisfaisantes à toutes les questions que nous évoquions plus haut. Pire, le conflit de 1914 montra non seulement les limites de l’homme social dans son appréhension de l’autre, ce conflit révéla aussi au grand jour le fait que les œuvres de sciences peuvent s’avérer redoutables dans l’usage que les sociétés peuvent en faire. Si ce premier coup de semonce monstrueux amena à s’interroger sur les fruits des œuvres de la seule raison et des passions, il ne réhabilita pas pour autant la foi dans sa dimension dogmatique ni dans son approche des sociétés humaines. Ce sera le rôle du second coup de semonce dévastateur que fut la guerre de 1939 – 1945 de révéler définitivement les limites de la science, œuvre de la seule raison. Une des conséquences importantes de la crise entre Foi et Raison fut de fonder une nouvelle approche des rapports entre la foi et la modernité, entre l’église et la modernité ; n’est – ce – pas le sens de l’encyclique Divino Afflante Spiritu du pape Pie XII en 1943 ?

Plus tard, avec Vatican II notamment, on parlera de l’Eglise, peuple de Dieu, en dialogue avec le monde et donc avec sa modernité ; ce fut une réorientation importante. Même là des écueils surgiront, en particulier, la théologie de la libération qui n’est qu’un aspect de la crise entre la foi et la modernité du monde vue dans sa dimension sociale voire sociologique ; ce fut une autre manifestation de la difficulté à trouver le point d’équilibre entre la raison et la foi. Bien sûr, dans ce cas il ne s’agit plus seulement de sciences, au sens de sciences exactes. Dès lors, nous pouvons parler de désillusions ; une désillusion qui traduit l’inadéquation entre l’espoir, les convictions et les moyens qui sont à la portée de l’homme et la manière de les mettre en œuvre.

                DESILLUSION

De ces crises, celles de la foi comme celles de la raison positiviste, la science à la recherche de réponses, l’homme n’en sort – il pas rempli de désillusions ? La réponse aujourd’hui est certainement oui pour la foi, ce qui se traduit par la désaffection des foules pour les voies traditionnelles de religiosité et la recherche, parfois effrénée, de nouvelles spiritualités.

Elle est oui également pour les fruits de la seule raison qui entraîne une défiance, voire un refus, des promesses des sciences considérées sans discernement. Pourtant, curieusement, la demande de spiritualité n’a jamais été aussi forte ni les espoirs mis dans la science pour trouver des solutions aux maux de l’homme aussi élevés. Le problème n’est pas me semble – t – il une opposition, mais plutôt l’inconfort dans lequel notre esprit se trouve quand il s’agit de faire cohabiter l’œuvre de foi et l’œuvre de raison en nous sans que chacune – de la foi et de la raison – ne dispose de son « espace », de son aire d’entendement clairement défini et clairement délimité. La désillusion résulte alors d’une erreur de vision dans la mesure où nous demandons à la raison de régler des problèmes qui ne sont pas génériquement de son ressort ; dans la mesure également où nous sortons la révélation divine de son rôle, celui de sa dimension transcendantale pour vouloir la pénétrer absolument par la raison sous prétexte que nous avons accédé au temps profond (géologique) et sous prétexte que nous avons désormais la conscience d’une évolution des espèces y compris de l’homme (Darwin).

Désillusion ! Pour autant, nous n’avons cessé de célébrer aussi bien la foi que la raison. N’est-ce pas parce que nous avons mal entendu le discours de la révélation ? A force de vouloir l’écouter comme un cri du monde, n’avons-nous pas obscurci le message ? En reprenant les écrits de sagesse, les dits de la révélation, l’homme de foi peut y trouver que :

* La vérité de l’homme est fondamentalement déclinée en de multiples facettes qui sont intimement liées.

* Foi et Raison ne peuvent s’exclure.

* Foi et Raison ne peuvent se hiérarchiser.

* La Raison apparaît comme un chemin de montagne escarpé que nous devons gravir inévitablement, et dont le garde-fou indispensable est la Foi. Pour l’homme, l’un ne peut aller sans l’autre.

UNITE 

Tel est, me semble – t – il le maître mot ! Unité entre la foi et la raison en cela que c’est de l’homme total qu’il s’agit ; c’est – à – dire l’homme avec ce dont il est capable en acte, en pensée et en objet de pensée. Le parcours conceptuel pour se convaincre de cette totalité est long; ce qui suppose qu’on dissocie la foi d’avec les croyances, qu’elles soient profanes ou relèvent de la religiosité. On peut trouver les prémisses de cette nécessaire unité dès les dits de la révélation. Ainsi, comme le rappelle l’encyclique, « il existe une profonde et indissoluble unité entre la connaissance de la raison et celle de la foi. »

Et de préciser encore :

« La raison et la foi ne peuvent donc être séparées sans que l’homme perde la possibilité de se connaître lui- même, de connaître le monde et Dieu de façon adéquate. »

Je veux dire que foi et raison doivent se joindre pour un parcours unitaire au cours duquel chacune doit garder ses marques spécifiques. Je veux dire que foi et raison doivent construire solidairement une communauté dans laquelle l’homme peut se déployer. Enfin, si la soif de connaissance comme je l’ai dit se satisfait selon deux voies, leur résultante aboutit, et ne peut aboutir qu’à l’homme, en cela que c’est l’homme qui est le point cardinal, l’homme dans toute sa plénitude, l’homme débarrassé de toute ignorance ou orgueil, l’homme en harmonie avec son univers dans toutes ses composantes et avec son créateur. Autrement dit, c’est le « connais-toi, toi-même » des philosophes depuis l’antiquité, dès lors qu’on n’oublie pas que ce « toi-même » n’est pas isolé.

L’homme étant donc le point de convergence de ces voies, foi et raison ne peuvent être dissociées. Elles sont résolument indissociables, mais cette unité d’action doit respecter absolument le domaine d’entendement de l’une et de l’autre ; le non respect de cette condition entraîne, je l’ai dit, la désillusion que nous pouvons considérer alors comme la rupture de l’unité nécessaire ; rupture qui rend alors impossible un complet « connais-toi, toi-même ».

L’unité, c’est – à –dire la création solidairement de la communauté entre la foi et la raison suppose ainsi que la foi s’insère dans le domaine de la raison ; ce que les dits de la révélation n’ont jamais cessé d’affirmer ; c’est le cas par exemple  des livres bibliques tels que : Sagesse, les Psaumes, le livre des proverbes, le Siracide…

Cette unité suppose également que la raison doit à son tour s’insérer dans le domaine de la foi. De plus en plus de scientifiques affirment cette double insertion ; ainsi par exemple, Karl Popper, Ilya Prigogine et bien d’autres encore… ne conçoivent plus leur domaine comme exempt de spiritualité. Nous avons par exemple l’aveu de la seconde nécessité dans la citation que je donnais plus haut d’Erwin Schrödinger.

Certes, bien de spéculations scientifiques vont, en apparence, bien au-delà du problème qui nous préoccupe, en particulier, le problème de l’observateur, comme celui du déterminisme universel ; ce n’est selon moi rien d’autre que l’émergence et la prise en compte d’une autre dimension à la quête des hommes. Mon choix des hommes de sciences mentionnés ci- dessus est volontairement limité au domaine que nous considérons comme celui des sciences exactes, domaine dans lequel pouvoir faire des mesures est la règle ; ne dit-on pas que « il n’y a de science que de mesure » il n’y a pas si longtemps encore ! Aujourd’hui, nous savons que mesurer n’est plus la panacée ! Ainsi, comme le dit Prigogine … »raison » n’est plus associée à « certitude », ni « probabilité » à « l’ignorance ». C’est dans ce cadre que la créativité de la nature et donc en particulier celle de l’homme trouve la place qui lui revient. « 

L’unité suppose aussi que la foi s’insère dans le champ de la raison ai-je dit ; il suffit de se tourner vers les écrits bibliques pour s’en convaincre. Ainsi, comme nous le rappelle l’encyclique du pape Jean Paul Il (chap. Il, 17) :

« Il ne peut donc exister aucune compétitivité entre la raison et la foi : l’une s’intègre à l’autre, et chacune a son propre champ d’action. C’est encore le livre des Proverbes qui oriente dans cette direction quand il s’exclame :« C’est la gloire de Dieu de celer une chose, c’est la gloire des rois de la scruter » (25, 2). Dans leurs mondes respectifs, Dieu et l’homme sont placés dans une relation unique. En Dieu réside l’origine de toutes choses, en Lui se trouve la plénitude du mystère, et cela constitue sa gloire ; à l’homme revient le devoir de rechercher la vérité par sa raison, et en cela consiste sa noblesse. Un autre élément est ajouté à cette mosaïque par le Psalmiste quand il prie en disant : «Pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante ! Je les compte, il en est plus que sable ; ai-je fini, je suis encore avec toi» (139 [138J, 17-18). Le désir de connaître est si grand et comporte un tel dynamisme que le cœur de l’homme, même dans l’expérience de ses limites infranchissables, soupire vers l’infinie richesse qui est au-delà, parce qu’il al’intuition qu’en elle se trouve la réponse satisfaisante à toutes les questions non encore résolues. « 

Et encore ceci du même texte (20) :

« … la raison est valorisée, mais non surestimée. Tout ce qu’elle atteint, en effet, peut être vrai, mais elle n’acquiert une pleine signification que si son contenu est placé dans une perspective plus vaste, celle de la foi : «Le Seigneur dirige les pas de l’homme : comment l’homme comprendrait-il son chemin ?» (Pr 20, 24). Pour l’Ancien Testament la foi libère donc la raison en ce qu’elle lui permet d’atteindre d’une manière cohérente son objet de connaissance et de le situer dans l’ordre suprême où tout prend son sens. En un mot, l’homme atteint la vérité par la raison, parce que, éclairé par la foi, il découvre le sens profond de toute chose, en particulier de sa propre existence. L’auteur sacré met donc très justement le commencement de la vraie connaissance dans la crainte de Dieu: « La crainte du Seigneur est le principe du savoir» (Pr 1, 7; cf. Si 1, 14). »

Nous pouvons évoquer le livre de Job également, même si dans ce cas, la question qui est examinée – le problème du mal dans le monde – n’entre qu’indirectement dans la problématique foi et raison. Nous pouvons nous y référer parce que quand Le Tout Puissant daigna enfin répondre aux lamentations de Job, c’est la nature, son œuvre, qu’II lui donna en exemple ; c’est par les prodiges de la nature qu’II lui signifia que la foi appelle une réponse d’obéissance et seulement celle – là ; or ce sont ces prodiges que la raison considère comme son domaine. En d’autres termes, « la grandeur et la beauté des créatures font par analogie contempler leur auteur’ (Sg 13, 5 ; cité par l’encyclique).

Est- ce à dire que la nature et ses œuvres sont aussi révélation ?

La réponse est oui, mais elle est également non selon moi.

La réponse est oui, car, c’est en quelque sorte « l’agent » dont nous disposons pour y fixer nos interrogations. La nature est le premier niveau d’interrogation qui est accessible à tout homme ; c’est le premier niveau sur lequel la raison prend pied. La réponse est oui, car, c’est la contemplation du réel qui ouvre la voie au questionnement ; et sans questionnement, on ne peut parler de foi.

La réponse est non aussi, parce qu’il faut éviter de faire de la nature un absolu ; il faut éviter  d’en faire un objet d’adoration, car dans ce cas, l’homme sombrerait dans l’idolâtrie. N’est-ce -pas là l’erreur d’optique des sciences du XVllème, XVlllème et XIXème siècle ? Cette science qui pensait, et sans doute pense encore pour certains scientifiques, pouvoir ouvrir toutes les portes auxquelles l’esprit de l’homme frappe. La réponse est non aussi parce qu’il nous faut placer le réel observable dans le champ du temps profond, le temps cosmologique ; c’est dans ce temps en effet que se déploie la toute puissance divine. C’est l’honneur de la raison de rendre l’homme capable de pénétrer aussi bien ce temps que de concevoir son déploiement. C’est l’honneur de la raison de rendre l’homme capable d’accéder aux œuvres du créateur et pour finir de connaître Dieu. « Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence » (Pr 4,5) nous enseigne t – on ! Ce qui veut dire que la foi et la raison se rencontrent dans l’homme, car c’est Dieu qui a fait l’une et l’autre pour le croyant ; l’harmonie dans l’homme est au prix de cette rencontre. « La crainte du Seigneur est le principe du savoir » (Pr 1,7) car, « La Sagesse sait et comprend tout » (Sg 9, 11). Ce qui signifie que la réflexion doit aussi porter sur la révélation. Ce qui signifie également que l’une ne doit pas être surévaluée par rapport à l’autre, car alors, nous poserions le problème en termes de compétition. Nous le poserions en termes de concurrence, et pour finir en termes d’exclusivité. Le risque dans ces conditions serait l’émergence d’une réaction de suspicion ; une suspicion qui déboucherait inévitablement sur l’intolérance, mère de tous les intégrismes. N’est – ce pas là la leçon des cinq ou six derniers millénaires de l’humanité ?

N’est- ce pas là l’erreur, sinon l’errance de ceux qui croient et tentent d’imposer aujourd’hui encore l’idée que la raison à travers la science oblige à une révision totale du principe des dogmes et des dits de la foi, et donc de la révélation ?

N’est-ce pas là aussi que se situe l’erreur, sinon l’errance de ceux qui pensent aujourd’hui encore que les dits de la révélation sont à prendre au premier degré, déniant de fait toute intelligibilité à la raison et donc à ses fruits ? Le créationnisme aujourd’hui n’est-il pas l’une des manifestations de cet état d’esprit ?

Pas plus que la raison ne peut exclure le divin ni la révélation, la foi ne peut se substituer à l’œuvre de raison. Les deux voies sont nécessaires comme le rappelle le pape Jean Paul II dans l’ouverture à l’encyclique que j’ai citée au début de cette réflexion.

Unité nécessaire donc entre foi et raison pour construire l’harmonie dans l’homme.

CONCLUSION

Unité, c’est – à – dire convergence de la foi et de la raison  dans l’homme ; une convergence qui ouvre la voie du salut. Unité : oui ! Unicité : non !

En effet l’unité ne doit pas aboutir à l’unicité ! Je veux dire qu’on ne doit pas considérer la foi et la raison comme deux facettes, deux manifestations d’un concept unique ; cela reviendrait en effet à considérer que la foi seule par exemple répond ou peut répondre à toutes les questions que se pose l’homme y compris son regard ouvert sur le monde physique ; ce serait nier que l’homme est créé à l’image de son créateur ; cela équivaudrait à lui dénier de fait toute liberté, et plus particulièrement celle du questionnement.

L’unité ne doit pas aboutir à l’unicité, car, cela reviendrait à dire aussi que la raison, à travers les œuvres de la science par exemple, suffit à l’homme pour réussir « connais-toi, toi-même ». Le résultat dans ce cas reviendrait à voir l’homme comme un simple « objet » ; cela reviendrait à considérer l’homme comme un produit fortuit des lois de la nature ; ce ne serait qu’un fruit gratuit d’un hasard sans âme. Ce serait là une redoutable matérialité dont les conséquences furent effroyables dans le passé pour la société des hommes et qui risquent de l’être encore.

Refuser l’unicité c’est aussi considérer que le vrai ne peut s’entendre comme un paradigme absolu, car la vérité doit aussi prendre l’homme dans sa marche et encadrer cette progression. C’est dire :

– Qu’une éventuelle vérité de la raison ou de la foi doit aussi être utile pour cette marche avant d’être vérité ou non.

– Qu’une éventuelle erreur de la raison ou de la foi peut être utile et nécessaire à un moment donné de cette marche davantage que ne l’aurait été la vérité correspondante à ce même moment.

Il nous faut comprendre que c’est dans la persévérance et dans la confiance que l’homme de foi place sa marche vers la vérité, c’est -à – dire vers le salut. Ceci, parce que par la Révélation aussi bien que par l’histoire, nous possédons une identification précise de la raison et de la foi comme savoir profane et comme vérité de foi.

Publié initialement en 2009.

SAINT PAUL: LES RAISONS D’UNE PERSECUTION

Introduction.

Tous les récits de la conversion de Saint Paul sur le chemin de Damas mettent en exergue deux questions. La première est celle que pose Jésus, accusateur, par exemple en Ac 9, 4 :

Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?

La seconde est celle de Paul qui peut paraitre comme prémices de la réponse à la première question. Paul répond en effet par une autre question :

Qui es-tu Seigneur ?

La suite des récits semble traduire un accord implicite des deux protagonistes – avec la mise en garde du Christ en Ac 26,14, « C’est en vain que tu résistes, comme l’animal qui rue contre le bâton de son maître » -pour entrer directement dans le vif du sujet : l’ordre de Jésus, et ce que Paul considère comme son « saisissement« . Tout se passe comme si les possibles réponses à la question de Jésus sont entendues et ne nécessitent pas d’être déployées ni par Jésus, creusant l’interrogation, ni par Paul dans un effort de justification par exemple.

Pouvons-nous tenter de dégager ce qui pourrait être les raisons qu’avait Saint Paul de persécuter violemment les adeptes de Jésus ?

La réponse est oui ; il faut en chercher les éléments à travers l’action et l’enseignement de Paul depuis son saisissement par le Christ. Il faut en chercher les raisons dans les convictions de Paul en tant que juif pratiquant et déterminé. Pour se faire, commençons par examiner les récits du comportement de Saul avant le chemin de Damas.

 

Les assertions.

Elles ont deux origines dans le Nouveau Testament, les Actes des Apôtres et les Epitres de Saint Paul ; chacune ayant une vision propre.

Dans les Actes des Apôtres, la vision de Saint Luc est de proposer un déploiement à visée historique et ecclésiale des premiers temps du christianisme ; et selon lui, Saint Paul est un acteur majeur de ces temps de commencement du christianisme. Dans les Epitres, la visée est théologique et également ecclésiale, car la fougue de St Paul en « promoteur » du Christ sauveur n’a pas pour objet une relation d’évènement, mais une profession et une proclamation de ses nouvelles convictions.

En considérant ces deux types d’assertions, nous pouvons dégager les éléments qui nous permettrons d’analyser les possibles réponses à la question de Jésus à Saint Paul, « …pourquoi me persécutes-tu ? »

Dans les Actes des Apôtres.

Dans les Actes, nous avons plusieurs assertions de la violence de Paul envers les adeptes de Jésus, d’une part comme relation de l’auteur des Actes. Ainsi, si en Ac 8,1, il n’est présenté que comme témoin de la lapidation d’Etienne, le verset précise qu’il approuvait le meurtre, et donc avait déjà la persécution en lui comme l’indiquent les versets 3 « Saul, de son côté, ravageait l’Église; pénétrant dans les maisons, il en arrachait hommes et femmes, et les faisait jeter en prison. » En Ac 9,1, nous avons une nouvelle étape, selon les Actes, dans la persécution en demandant au Grand Prêtre des lettres de mission, car son « cœur n’exhalait que menaces et mort contre les disciples du Seigneur. » La volonté de détruire, d’extirper « les adeptes de la voie » est telle que le juif zélé qu’il était encore s’engageait – déjà – sur les routes, en particulier, celles qui mènent aux synagogues de Damas. Saint Luc nous présente d’autre part la persécution des adeptes de Jésus par Paul à qui il laisse la parole. En effet, en Actes 22, 4, puis en Ac 22,19-20, c’est Paul qui s’exprime, il reconnait avoir « persécuté jusqu’à la mort » ceux qui deviendront ses compagnons après sa conversion. Autant dire que Paul reconnait l’extrême détermination –jusqu’à la mort- qui fut la sienne. C’est encore lui qui parle en Ac 26, 9-11, pour dire ce qui peut apparaître comme un résumé de sa vie de persécuteur, pour reconnaitre d’avoir approuvé les condamnations à mort de ceux qu’il jetait en prison ; en d’autres termes, Paul se reconnait comme meneur de la persécution, même si ce sont les autorités religieuses qui délivraient les ordres de mission. Ainsi, les Actes de Apôtres balisent le parcours de Saul de Tarse en soulignant ou en faisant souligner l’ardeur, la fureur ou encore le zèle qui animait l’homme.

Dans les Epitres.

Dans ses écrits, les Epitres, Saint Paul revient à maintes reprises sur sa vie passée de persécuteur. En 1Co 15, 9 pour se situer ; il écrit : « Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine » (1Cor 15,9). C’est en ces termes que Saint Paul s’adresse aux corinthiens, reconnaissant par-là un point crucial de sa vie, celle du juif zélé qu’il fut d’abord. Il s’agit sans doute aussi de célébrer l’honneur insigne que lui fait le Seigneur en le gratifiant d’une apparition. Il poursuit en 1Cor 15,10, « par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis et la grâce n’a pas été inefficace…« En d’autres termes, il resitue sa vie de persécuteur dans la volonté divine ! On peut dire qu’il intègre cette partie de son existence dans sa vision théologique. N’est-ce pas l’une des lectures possibles pour 1Cor 7,20-23 ? Saint Paul écrit en effet : « 7.20 Que chacun demeure dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé. 7.21 As-tu été appelé étant esclave, ne t’en inquiète pas; mais si tu peux devenir libre, profites-en plutôt. 7.22 Car l’esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur; de même, l’homme libre qui a été appelé est un esclave de Christ. 7.23 Vous avez été rachetés à un grand prix; ne devenez pas esclaves des hommes.  » Saint Paul est donc un « affranchi du Seigneur« .

Comme dans les Actes des Apôtres, nous avons à plusieurs reprises sous la plume de Saint Paul le récit de son comportement avant sa conversion, 4 en tout.

En Ga 1,13-14, c’est à une véritable « carte de visite » à laquelle nous avons droit, même si celle-ci était devenue obsolète du fait du « saisissement » de Saul par le Seigneur : « Vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme, avec quelle frénésie, je persécutais l’Église de Dieu, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. » Et en Ga 1,23, Paul rappelle la réputation qui était la sienne dans les milieux de ceux qui suivaient Jésus. « Celui qui nous persécutait autrefois prêche maintenant la foi qu’il s’efforçait de détruire. »

C’est sans doute dans l’Epitre aux philippiens que Saint Paul détaille et argumente la carte de visite du persécuteur qu’il était. Il précise en effet -Ph 3,5-6- : « Circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu, fils d’hébreu, pour la loi pharisien, pour le zèle persécuteur de l’Eglise, pour la justice qu’on trouve dans la loi, devenu irréprochable ».

 

Pourquoi ?

Ainsi, il nous livre in extenso trois directions d’expression de sa pensée en Ph 3, 4-6, trois directions qui faisaient sa fierté avant sa rencontre avec Jésus. Trois directions qu’il ne regrette pas semble-t-il après sa conversion. Les assises de cette pensée sont :

Hébreu, fils d’hébreu : donc circoncis le huitième jour.

Pratique de la Loi : pharisien convaincu.

Justice de la Loi : irréprochable dans son action.

Zèle de la Loi : fanatique et persécuteur.

 

C’est donc l’affirmation, de sa judaïté, et cela, à travers :

La Loi qui doit être respectée avec zèle.

Le zèle pour pratiquer la justice.

La justice pour obéir à la volonté divine connue à travers les pères et les prophètes.

 

Hébreu, fils d’hébreu.

C’est la communauté, elle qui est le corps de l’alliance ; alliance de Dieu avec un peuple qui doit demeurer séparé pour respecter l’exigence de sainteté. Or l’enseignement de Jésus et la proclamation des Apôtres après Pâques et la Pentecôte rend obsolète cette exigence de séparation et cette forme de sainteté. Ainsi, en Matthieu 15, les exigences de pureté alimentaire sont balayées. Ainsi en  Mtt 15,2, les juifs demandent à Jésus : « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne se lavent pas les mains, quand ils prennent leurs repas. » Jésus répond et prolonge l’enseignement :  » 15,11 Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme… 15,17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets ? 15,18 Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui souille l’homme. 15,19 Car c’est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies. 15,20. Voilà les choses qui souillent l’homme; mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille point l’homme. »

Dès lors, le juif Saul peut se sentir attaqué dans les fondamentaux de sa foi. Saul peut pressentir un danger imminent dès lors que la communauté risque de ne plus être séparée, et donc, de ne plus pouvoir respecter l’exigence de pureté, prélude à sa sainteté ; il peut le sentir comme une conséquence à l’enseignement de Jésus.

Pharisien.

En tant que pharisien, Saul peut légitimement croire la Torah en danger, si on attaque la haie qui est bâtie autour d’elle pour la préserver afin qu’elle joue son rôle sanctifiant pour la communauté, elle-même séparée pour demeurer sainte. Se dire hébreu, fils d’hébreu, c’est se situer entièrement dans la référence aux pères, et là, Saul semble affirmer qu’il y était et qu’il y est encore après sa conversion. Tout doit tourner autour de la Torah ; et le premier niveau d’observance de la Torah est précisément constitué par les observances rituelles. Ces exigences ne sont cependant pas les seuls éléments auxquels Saul s’opposait si violemment aux adeptes de Jésus. Il y avait certainement un autre point que ne pouvait accepter le pharisien qu’il était. C’est un point d’ordre théologique qui concerne le Temple de Jérusalem.

Le Temple.

La centralité du Temple fait aussi la centralité de Jérusalem pour le peuple juif, qu’il réside en terre sainte ou bien qu’il soit installé dans la diaspora, et cela, pour l’ensemble des sensibilités doctrinales juives à l’exceptions des esséniens. Cette centralité résulte de la réforme d’Ézéchias, mais surtout du fait que le Temple symbolise le lieu où le peuple entre en interaction avec Dieu. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que le temple est considéré comme la table de sacrifice du judaïsme, et comme telle, elle fait partie intégrante de l’offrande à Yahvé ; une table sans laquelle aucun sacrifice n’est valide. Or, dire que le temple est « fait de main d’homme, » c’est laisser entendre qu’il est le symbole d’une idolâtrie,  qu’il est une idolâtrie.

L’idolâtrie est la pire chose pour le judaïsme ; c’est ce qu’il y a de pire pour la loi de Moïse, c’est-à-dire pour la loi de Dieu. Que l’on se rappelle Moïse justement confronté à l’idolâtrie du veau d’or ; ce fut à cette occasion qu’il eut ce geste de briser les premières Tables de la Loi, celles qui furent écrites de la main de Dieu. Ce fut un sacrilège inouï ! Et Moïse l’a fait, ce geste ; et Dieu accepta que ce soit fait ! On voit donc que qualifier, même indirectement le Temple d’idolâtre, car fait de main d’homme est gravissime pour un juif ; et ça l’est plus encore pour le pharisien de surcroit qu’était Saul. De fait, Marc parle avec raison de faux témoignages à ce propos : « Mc 14, 58 Nous l’avons entendu dire: Je détruirai ce temple fait de main d’homme, et en trois jours j’en bâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme. » En effet, il y a une contradiction fragrante entre le fait de chasser les marchands du temple et de s’effaroucher devant le spectacle qui transforme le Temple de Jérusalem, « …la maison de mon Père » en un lieu de mercantilisme débridé et le fait de considérer que le propos de Jésus concernait le temple, lieu de culte. L’Evangile de Jean -(Jn 2, 14-21)- propose un développement complet de l’évènement : « 2 14 Il trouva dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis. 2 15 Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables ; 2,16 et il dit aux vendeurs de pigeons : Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. 2,17    Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de ta maison me dévore. 2,18 Les Juifs, prenant la parole, lui dirent : Quel miracle nous montres-tu, pour agir de la sorte? 2,19 Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. 2,20 Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours tu le relèveras ! 2,21Mais il parlait du temple de son corps. » La méprise était totale ; ou alors, c’est la mauvaise foi qui prévalut dans les témoignages selon Marc qui est fragrante. Or, Saul était présent au moment de la lapidation d’Etienne ; on nous dit qu’il approuvait ce meurtre en Ac 8,1 ; et l’une des raisons de cette lapidation est le fait de dire du temple que c’est une maison faite de main d’homme, (Ac 7, 48) radicalisant, sinon comprenant de travers les propos de Jésus.

Saul persécuteur des chrétiens qu’il croyait considérer le temple comme une idolâtrie ; et Paul pour qui, après sa conversion, le corps sera proclamé comme « le temple de l’Esprit » : « 1Cor 6, 19 Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes ? 1 Co 3, 16 Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?2 Co 6, 16 Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles? Car nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit : J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Mais, avant d’en arriver là, Saul le juif pharisien, ne pouvait accepter que le temple soit assimilé de fait à une idolâtrie.

La Loi.

La Loi pour le judaïsme est le lieu de la justice, la justice de Dieu. Saint Paul se considère sans reproche de ce point de vue avant et après sa conversion. Est-ce la raison pour laquelle il n’eut pas de réponse explicite à la question de Jésus « … pourquoi me persécutes-tu ? « ? Ou bien alors, l’argumentaire de Ga 1, 14 « … je progressais dans le judaïsme, dépassant ceux de mon âge et de ma race pour mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. » doit faire office de prélude à toute réponse ? La loi donc ! Mais on se demande alors quel regard les chrétiens des origines portaient sur la loi pour que ce soit là, une des raisons de persécution ; une des raisons de la fureur de Saul contre eux. En effet, Jésus n’apparaissait pas comme mettant fondamentalement la loi en cause. Il dit être venu pour l’accomplir (Mt 5, 17-20) ; même si les préceptes de la Torah sont relativisés par endroits dans son enseignement, par exemple la guérison du paralytique à la piscine de Bethesda, (Jn 5) un jour de shabbat ; relativisés pour annoncer un Dieu d’amour. C’est ailleurs, dès lors, qu’il nous faut chercher d’éventuelles raisons, au niveau de la loi, pour justifier l’extrême violence de la persécution de Saul. Si Jésus n’attaque pas la loi dans son enseignement, mais au contraire veut la réaliser, c’est sans doute dans le redéploiement qu’il en propose que doit se situer l’origine de la fureur du juif Saul, pharisien de surcroit.

Ce redéploiement, nous le trouvons en maints endroits de l’enseignement, mais c’est surtout dans le sermon sur la montagne, Matthieu 5,6 et 7 qu’il atteint sa plénitude : les béatitudes ; ou encore dans le sermon dans la plaine où Luc en propose une autre relation : Lc 6, 20-49. Ce n’est pas tant dans le contenu du sermon, ce qui est convenu d’appeler les Béatitudes, que dans la forme, dans l’expression de Jésus quand il délivre cet enseignement, par ailleurs capital, que le juif, pharisien zélé, peut trouver matière à se rebiffer, voire à laisser éclater sa fureur. La solennité de l’enseignement tient autant à son contenu qu’à l’assurance avec laquelle il fut délivré : « On vous a dit …. Moi, je vous dis… » Tout le problème est sans doute là ; il est dans ce Moi majestueux et péremptoire. En effet, le « On vous a dit » porte sur la loi de Moïse, la loi du Sinaï, c’est-à-dire sur la loi de Yhwh, la loi de Dieu. Moïse n’était que l’intercepteur ; il œuvrait à la demande expresse de Dieu ; dès lors, sa proclamation est une proclamation divine telle qu’elle ressort aussi bien de l’Exode, du Lévitique que du Deutéronome. Le contenu de l’enseignement de Jésus ne peut être en cause, car, on peut y voir un redéploiement des Dix Commandements à la lumière du Dieu d’amour qu’il proclame par ailleurs. Par contre, l’expression de cette proclamation, l’expression de cet enseignement sous la forme « Moi, je vous dis… » est inouïe ; inouïe en cela que d’emblée, Jésus peut apparaître comme étant au-delà de Moïse ; c’est en quelque sorte l’affirmation du Fils christologique avant l’heure, avant son élaboration théologique. Nous avions trouvé inouï, parce que sacrilège, le geste de Moïse brisant les premières Tables de la Loi ; ici, c’est l’expression de Jésus, son assurance et son autorité que le juif pieux peut trouver sacrilèges. On peut donc concevoir  que ceux qui se réclament de Jésus puissent faire l’objet de persécution, car, c’est l’édifice même de la Révélation sinaïtique et l’Alliance qui en résulte qui sont mises en cause, et qui risquent de s’effondrer aux yeux de tenants rigoureux du judaïsme. C’est proprement inouï comme perspective ! De fait, cela ne peut échapper à l’intelligence vive et constamment en alerte de Saul pour tout ce qui concerne son peuple, sa foi et son Dieu. Dès lors, éradiquer ceux qui se réclament de cette voie, une voie qui veut reformuler de fond en comble la Torah, peut être pour Saul, l’expression de son zèle pour la loi ; la persécution devient pour lui un devoir sacré.

Le tombeau vide.

Dans le judaïsme, les pharisiens croyaient à la résurrection des morts, contrairement aux sadducéens par exemple ; si on peut imaginer selon la grande majorité des auteurs que Saul, sans nécessairement connaitre Jésus kata sarka de son vivant,  devait en avoir entendu parler à cause des démêlés et des débats qu’il eut avec les pharisiens avant sa mort ; s’il en était ainsi, Saul ne pouvait ignorer l’esprit messianique de l’enseignement et de la démarche publique de Jésus, même s’il ne s’était jamais proclamé messie. On peut, dans cette éventualité, comprendre que Saul ce soit rassuré à la mort-crucifixion de Jésus, dès lors qu’un messie mort, et de surcroit par crucifixion, est inimaginable pour un juif. Cette mort apparait comme la preuve que le crucifié n’était pas le messie. Voilà qu’à partir de la pentecôte, les Apôtres annoncent la résurrection de Jésus en proclamant d’une part que son tombeau est vide, et surtout, d’autre part, qu’ils ont vu le ressuscité. Les témoignages multiples des apparitions de Jésus renversent complètement l’idée selon laquelle un messie ne pouvait mourir, qu’un messie ne pouvait être crucifié. Pour un pharisien comme Saul, bien qu’il croie à la résurrection des morts, ces témoignages ne pouvaient être que de la supercherie, car, la Li et les Prophètes parlent de la venue du Messie, mais en aucun cas de résurrection ; d’où toute supercherie en ce sens justifie une fois encore l’extermination de ses auteurs et de ceux qui y accordent foi. C’est là qu’apparait l’importance du chemin de Damas et l’insistance avec laquelle Paul affirmera qu’il a vu Jésus. La problématique est la même que dans le cas de Saint Thomas ; pour l’un, Saint Thomas, c’est la vue des plaies qui consolide sa foi ; pour l’autre, Saint Paul, c’est l’apparition de Jésus qui l’instruit qu’il faisait fausse route par ses persécutions et qui lui assigne sa mission ; c’est cette apparition –une expérience mystique- qui change toute sa perspective du judaïsme sans pour autant le conduire à tourner complètement le dos à l’enseignement de ses pères, mais plutôt à le comprendre à la lumière de l’enseignement de Jésus venu pour accomplir la loi ; un Jésus et un enseignement sur lesquels il ouvrit la vue à Damas. La fureur du persécuteur se transforme alors en fureur du porteur de l’évangile ! Nous sommes toujours dans l’optique du zèle.

 

Théologie du zèle.

La persécution des premiers chrétiens par Saint Paul relève également du concept de zèle très présent dans le judaïsme. En fait, tous les éléments que nous venons de passer en revue pour tenter de cerner les raisons de la virulence de Saint Paul, encore Saul, contre les adeptes de Jésus ont pour cadre ce zèle. Tout cela relève du zèle pour la loi.

Le zèle dans le judaïsme est un diptyque en cela qu’il présente deux facettes qui doivent constamment se répondre. L’une de cette facette est le zèle de Dieu pour son peuple ; on peut dire qu’ayant élu ce peuple, Il a des devoirs envers lui ; le zèle de Dieu donc. La seconde facette est le zèle du peuple hébreu pour son Dieu en réponse à l’alliance. Dans un cas comme dans l’autre, pour l’une des facettes comme pour l’autre, il s’agit d’une relation d’exclusivité ; une relation sans partage dans laquelle aucun élément extérieur ne doit s’insérer. Et Moïse prévient : Dt 4, 1 « …gardant avec fidélité les commandements de Yhwh votre Dieu que moi-même je vous prescris ; vous n’ajouterez rien ni ne retrancherez rien à cette parole. » Saul se conformait donc à la consigne, Dt 4, 23 « Gardez-vous donc bien de peur d’oublier l’alliance scellée avec vous par Yhwh votre Dieu… » car, en Dt 4, 24, le prophète ajoute « …cat Yhwh ton Dieu est Lui, un feu dévorant et un dieu jaloux. » Nous trouvons là, les fondements de l’action des zélotes ; Saul en était-il ? Peut-être, mais peu importe ; sa persécution est d’abord sa manière de répondre au zèle de Dieu ; c’est sa manière de préserver l’alliance comme n’importe quel juif ; garder l’alliance. L’histoire des hébreux regorge d’actes de violences extrêmes dont la justification est le zèle pour Dieu : Phinéas, Nb 25, 6-13 ; Symeon et Levi son frère, comme le rappelle Judith, la fille de Syméon en Jdt 9, 2-4 ; ou encore les frères Maccabées ; la colère de Mattathias, 1Mc 2, 19-22, est très explicite à ce sujet. La théologie du zèle s’articule autour d’une violence dirigée contre le juif d’abord, car, il s’agit de maintenir la cohésion et l’intégrité du groupe face à Dieu, et donc d’en éliminer tout élément qui menace cette cohésion. Elle se fonde sur l’exigence de sainteté et de respect absolu de la loi ; d’où l’éradication de tout ce qui peut être cause de souillures. Ce sont là, des exigences pour lesquelles le juif pieux et zélé est fermement persuadé qu’il peut aller jusqu’à verser le sang sans la moindre hésitation ; on comprend que Saul ne broncha pas à la vue de la lapidation de Saint Etienne ; il approuvait !

 

Conclusion.

La persécution des adeptes de Jésus par Saul s’insère parfaitement dans le schéma du tableau qui vient d’être brossé. Que ce soit dans les Actes des Apôtres ou que ce soit dans les Epitres, l’action dévastatrice de Saul avant le chemin de Damas est soulignée sans pour autant qu’apparaisse le moindre remord. Saint Paul la reconnait, on peut la motiver ; mais, s’il considère qu’il était dans l’erreur, il ne se justifie pas pour autant ; « Je suis ce que je suis… » dira-t-il dans 1Co 15,9. Est-ce pour cela, entre autre, qu’il préconise dans 1Co 7,20 « Que chacun demeure dans l’état où il était quand il a été appelé… » ?

En d’autres termes, ce n’est pas son zèle qu’il met en cause, mais son aveuglement tant qu’il n’ouvrit pas les yeux à Damas, dès lors qu’il considère qu’il « a été mis à part depuis le sein de sa mère » pour ce qui sera sa mission après le chemin de Damas. Ainsi, précise-t-il dans sa lettre aux Galates : « Mais, lorsque Celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie » (Ga 1,15-16)

Bibliographie.

Les citations des Epitres et des Actes proviennent de « Nouveau Testament Interlinéaire Grec/Français. »

Marchadour A. L’évènement Saint Paul ; éditions Bayard, 2009.

Baslez M-F., Saint Paul, artisan d’un monde chrétien ; éditions Fayard, 2008.

Brune F., Saint Paul, le témoignage mystique ; éditions Oxus, 2003.

Marguerat D., Paul de Tarse ; éditions Gallimard, 2000.

Badiou A., Saint Paul, le fondateur de l’universalisme ; PUF, 1997.

Cantinat J. (c.m.), Les épitres de Saint Paul expliquées ; éditions Gabalda, 1960.