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ECOUTER, REFLECHIR, MEDITER… OU LE VOYAGE SPIRITUEL EN TROIS ETAPES


Plan

                        I –   Introduction

                        II – Ecouter

                        III –Réfléchir

                        IV –Méditer

                        V –Conclusion

                        Bibliographie

I – Introduction.

Une question moderne : qu’est – ce que le spirituel ? Question très centrée, mais à réponses multiples et éclatées. Parmi celles – ci, celle que donne la théologie spirituelle se fixe un paradigme qui balise parfaitement le parcours spirituel. En effet, c’est à partir de la notion de salut que le fait religieux fonde la démarche.

En régime chrétien, je propose de suivre ce parcours à partir de trois positions « successives » qui sont en fait trois balises pour qui veut rester éveillé dans la quête qui fonde la spiritualité. Ces trois balises sont pour le postulant à la quête, l’écoute, la réflexion et enfin la méditation.

Avant même d’aborder la réflexion sur ces balises, il convient de chercher à saisir le pourquoi de la quête. De fait, tout système religieux envisage ce « pourquoi » comme un appel auquel l’homme cherche à répondre, et, pour le chrétien, c’est l’appel de Dieu, c’est le don de la grâce initiale. Soit ! Mais alors, comment se fait – il que l’homme soit capable d’y répondre ? Comment se fait – il que nous pouvons entendre et répondre à ce don ?

Nous pouvons visiter, après une brève introduction, les trois étapes essentielles  de cette quête, selon le plan qui figure plus haut.

            Les deux nécessités : justification, voies et choix.

C’est une évidence que l’homme doit répondre à deux nécessités impérieuses, deux nécessités qui l’occupent de toute éternité, à savoir :

* Nourrir son corps.

                        * Nourrir son esprit.

Nous partageons la première avec le règne animal dans son ensemble, tandis que la seconde semble plus spécifique à l’espèce humaine. Nos actes dans le vivre au quotidien se partagent ainsi entre ces deux besoins, même si certains se trouvent répondre à l’une et à l’autre à la fois ; il en est ainsi par exemple de l’acte sexuel quand il est désir et sublimation de l’amour de l’autre ; ça peut être également le cas de la musique dans le domaine artistique.

C’est dire que la recherche de réponses à des questions existentielles, y compris maladroitement perçues et formulées pour soi, est première à travers le « nourrir son esprit » même quand ce besoin prend une forme réduite à sa plus simple expression. Oui, le besoin de s’interroger, le besoin de réponses et l’état d’esprit qui conduit l’homme à cela est premier, c’est dire que la spiritualité est première dans notre conscience ontologique, en cela que c’est par son entremise que l’homme accède à la connaissance de son être ; c’est par son entremise que l’homme peut prétendre percevoir la transcendance ; c’est par son entremise qu’il peut répondre à l’appel de la grâce avec, ou, sans révélation.

Nourrir son esprit est donc recherche de sens, que ce soit pour prendre du recul par rapport à une angoisse existentielle, ou pour s’interroger, voire se fondre dans le fait religieux, ou encore pour donner vie, et donc du signifiant, à l’interaction avec l’autre, et, au delà de l’autre, avec le monde entendu comme création, entendu comme le réel incontournable.

Nous passons là en revue quelques points d’ancrage où la spiritualité peut se fixer pour germer. Un tel ancrage peut emprunter une multitude de voies qui toutes commencent par l’écoute. Des points d’ancrage qui sont aussi des seuils, car, à chaque étape, il peut être nécessaire de devoir se hisser au niveau des épreuves à résoudre ; là, on peut se trouver dans des moments de crise, des moments qui éclairent pour le chrétien la grâce divine en œuvre certes, mais avec laquelle on peut entrer en conflit en cela que ces seuils peuvent être des temps de combats intérieurs pendant lesquels l’écoute, la réflexion et la méditation forment un écheveau.

Choisissons – nous ces étapes ? Pouvons – nous les choisir ? Il parait difficile de répondre oui, dans la mesure où, pour le chrétien comme pour le non- chrétien, on ne peut envisager une linéarité de la démarche, dès lors, c’est le va- et – vient entre questionnement et réponse perçue, plus qu’entendue, qui gouverne l’être et son écoute ; c’est dire que l’on ne peut s’attendre à quoi que ce soit ; il ne reste alors que d’être disponible. C’est donc une sorte de passivité, mais une passivité qui résulte pour le chrétien d’une attente confiante, une attente sereine qui est aussi le lieu de la quête.

Quand commence l’attente ? Quand commence l’écoute ? Le chrétien est – il toujours en mesure de le déterminer ? Je ne le pense pas, car alors, cela supposerait que l’être est en mesure de percevoir à chaque instant, le moindre frémissement de son âme. S’il pouvait en être ainsi, la quête serait terminée avant même de commencer, c’est – à – dire que nous n’aurions pas besoin de questionnement !

II – Ecouter

Ecouter, est l’acte médiateur par excellence entre l’homme et tout ce qui n’est pas lui, il est davantage médiateur que le langage en soi, car l’écoute fait appel à tout l’être. Il se déroule autant dans le silence de l’âme que dans le vacarme du monde, ce qui met l’écoute bien au-delà de la pensée qui est avant tout dialogue avec l’autre et avec son altérité. Ecouter c’est choisir d’accéder, accéder par le regard, par la lecture, par le dialogue et par toutes les formes que peut prendre le message. Accéder, c’est – à – dire parvenir à une conscience claire du questionnement.

Accéder signifie aussi choix et disponibilité de l’être ; accéder signifie également honnêteté intellectuelle et rigueur pour éviter à celui qui cherche, l’écueil redoutable qu’est l’illusion. Mais, accéder présuppose aussi la liberté, car la quête de spiritualité n’est plénière que dans la liberté. Si en régime chrétien l’écoute s’appuie sur la parole divine transmise – révélée- elle prend plus fermement encore appui sur l’Evangile qui éduque autant qu’il appelle. En effet, l’Evangile appelle à l’écoute à travers la personne du Christ ; en cela, l’écoute s’insère dans la foi et tout ce que cela porte comme regard sur l’autre vu comme le « corps mystique du Christ[1]« , ce qui veut dire que tout baptisé qui ne voit pas dans l’autre, quel qu’il soit, ce corps mystique, trahit son baptême, car le spirituel, -et donc l’appel- en régime chrétien  passe par ce corps. C’est là également un des seuils de la démarche de quête qui sont évoqués plus haut. Ceci étant, l’écoute de l’appel est d’abord individuelle, c’est chaque chrétien individuellement qui doit l’entendre pour comprendre le don de la grâce avant d’espérer le porter au niveau de la conscience de l’univers ; en somme, sans l’écoute, l’accès à la transcendance est sérieusement compromis.

L’écoute c’est donc l’éveil à la disponibilité, c’est en cela que « qui cherche trouve » des évangélistes Mathieu et Luc ; « trouve » au présent, car la grâce est déjà donnée, elle est déjà là, avant même que la quête de spiritualité ne commence pour le chrétien. Pour autant, est – ce suffisant d’écouter, quelle que soit la forme que prend l’acte d’écouter ? Est-ce suffisant d’être disponible et éveillé à l’accueil de la grâce ? Non, ce n’est pas suffisant, car la quête et l’accession à la spiritualité ne prennent leur sens véritable que dans notre liberté comme nous l’avons souligné ; c’est cette liberté qui impose l’étape suivante, celle de la réflexion, que celle – ci soit pour s’interroger sur le doute en son cœur ou qu’elle porte sur la fragilité d’une conviction qui ne peut avoir que la foi comme garde-fou ; réfléchir donc !

III – Réfléchir

On peut considérer que réfléchir est l’une des activités permanentes de l’être humain, même si une partie non négligeable de celle-ci relève d’une automaticité innée ou bien acquise. Il est donc normal que nous retrouvions également cette activité dans la quête de spiritualité ; la spiritualité est donc aussi du domaine de la noétique. Pour autant, pouvons – nous prétendre justifier la recherche de spiritualité par la raison ? La réponse ne peut être que non, car, comme nous l’avons dit plus haut, le chrétien est à l’écoute dans le cadre de sa foi et celle – ci est sa justification. Nous sommes ainsi amenés à considérer dans le cadre de cette quête, deux magistères qui sont celui de la foi et celui de la raison. Il doit en être ainsi car, « Fides et ratio binae quasi pennae videntur quibus veritatis ad contemplationem hominis attollitur animus. » « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. » Cette citation d’ouverture de l’encyclique Fides & Ration du pape Jean Paul II (1998) pose d’emblée la problématique ; à savoir que la foi et la raison procèdent de deux plans différents ; différents et non opposés, en cela que l’objectif de vérité de la spiritualité est commun aux deux plans.

En effet, si l’attente sereine du chrétien repose sur sa foi qui est aussi un garde – fou, sa vigilance et sa volonté dans la quête doivent s’appuyer sur la raison, celle qui ouvre et l’ouvre sur le réel, et surtout, ouvre le chrétien sur l’autre et sur sa communauté.

Réfléchir, le magistère de la raison, permet au chrétien de mettre en forme sa quête de spiritualité en lui évitant l’écueil que serait l’illusion, nous l’avons déjà dit, car tout contenu de l’écoute n’ouvre pas à la spiritualité ; il doit aussi lui permettre d’éviter la confusion entre croyances et foi, ou encore de croire que la liberté de choisir signifie liberté de se choisir.

Réfléchir aide le chrétien à se souvenir que l’appel, le don de la grâce, est premier ; réfléchir l’aide à saisir le caractère personnel du don, mais aussi à comprendre que l’adhésion par la raison, qui met la volonté en exergue notamment, ne peut suffire, car, le ressenti dans le cours de la quête offre rarement les mots pour se livrer totalement à l’extérieur de soi, or c’est cette ouverture qui peut seule le mettre en symbiose avec la communauté.

« Le seigneur fait grâce » n’est-ce-pas ? Et là, nous sommes dans l’action en notre direction, c’est aussi ce que la réflexion aide à saisir, en particulier sa dimension christologique.

Réfléchir, c’est s’enraciner dans le don de la grâce en en prenant conscience après coup ; c’est également la réflexion qui permet au chrétien de comprendre les limites de sa liberté, limites sans lesquelles il risque de donner une place excessive, voire exclusive au libre arbitre et à la volonté, reproduisant ainsi, sans le savoir peut – être, le pélagianisme ; volonté et libre arbitre jadis célébrés par le stoïcisme. En arriver là, c’est l’écueil qui se dresse déjà dès l’écoute et qui ici peut s’avérer plus insidieux si on n’y prend pas garde.

Réfléchir enfin, c’est encore et toujours s’ouvrir à la grâce divine et y rester disponible pour se saisir de Dieu ; c’est là qu’entre en scène le travail de méditation, méditation qui est le troisième pilier de la quête de spiritualité pour le chrétien.

IV – Méditer

Il convient de préciser que la quête de spiritualité ne peut être un acte dont le déroulement soit linéaire, en proposant les trois piliers de la démarche, je n’entends pas suggérer par là qu’elle se déroule en étages. Il faut considérer que toutes les étapes qui sont évoquées se déroulent de façon concomitante, avec différents degrés d’avancement certes, mais chacun de ces pôles est à l’œuvre dès le début et continue d’avoir cours à chaque instant tout au long du parcours.

En régime chrétien, la méditation est à l’œuvre déjà dans la prière, en effet, celle – ci est d’abord méditation avant d’être demande ou action de grâce. Pour le chrétien, c’est par la méditation que la quête de spiritualité peut aller plus loin, plus loin que l’écoute et plus loin que la réflexion.

Méditer, c’est porter son attention et sa conscience avec acuité vers trois points qui sont la foi, la grâce et la médiation christologique.

            Sur la foi :

La foi n’est pas à vivre comme un héritage, mais comme une conquête, et c’est là que la méditation intervient pour aider à s’inscrire dans une foi qui est faite de liberté, ce qui est la condition de l’épanouissement dans la foi, avec tout ce que cela entraine : regard sur le péché et le combat qu’il appelle ; regard sur la joie avec la communion qui résulte de son partage ; conscience d’une profonde pénétration dans la foi, car la foi est toute entière dès l’origine de son don, c’est la conscience avec laquelle le chrétien l’accepte et la vit qui peut croitre en intensité, et seulement cette conscience. Si la méditation n’a pas pour but une « augmentation » de la foi, elle sert néanmoins de garde-fou pour le chrétien afin que la pratique, le rituel –nécessaire- ne se substitue pas à l’expérience spirituelle.

Sur la grâce :

La méditation dans l’expérience spirituelle est le biais par lequel le chrétien appréhende véritablement la dimension de la grâce divine ; en particulier, elle doit l’aider à comprendre que la grâce est totale, elle est plénière dès le don, car Dieu ne peut donner à moitié ou en partie seulement. Dieu ne peut donner qu’une totalité, autrement, on ne verrait pas comment comprendre, par la raison ou par la foi, cette partition dans le don. La méditation doit donc aider à accéder à la conscience de cette totalité, car le chrétien peut ne pas intégrer sans méditation cette totalité face aux difficultés de la quête. Sans la méditation, le chrétien peut se poser la question de la plénitude du don à chacun des seuils que nous avons évoqués plus haut. Une image serait par exemple, celle d’un livre, un essai, lu et relu à maintes reprises, et dont il saisit davantage à chaque lecture, la pensée de l’auteur et sa profondeur… toutes choses qui existent dans le livre dès son impression mais auxquelles pourtant, le lecteur n’accède que  progressivement et de mieux en mieux de lecture en lecture. La méditation apparait ainsi comme la voie d’accès à la conscience de la plénitude du don de la grâce divine.

            Sur la médiation christologique :

Justement la totalité du don salvifique, c’est le Verbe incarné, c’est le don du fils qui ne peut être que totale car Un ; une totalité sans laquelle l’Eglise confesse l’impossibilité de l’œuvre de salut. La méditation ne nous amène pas à « ajouter » au Christ, elle amène à comprendre que le Christ, le verbe incarné EST le don, qu’il est le point où la foi du chrétien doit s’ancrer pour s’épanouir et rayonner. C’est par la méditation enfin que nous percevons le chemin parcouru ; elle nous fait comprendre le caractère fulgurant de la Pâque et sa vision christologique, car, c’est le point où tout est centré, « …tous les trésors de la sagesse et de la science » comme le dit St Paul dans l’épitre au Colossiens.

Conclusion :

Au carrefour de l’écoute, du réfléchir et du méditer, le chrétien perçoit et se perçoit. Il perçoit l’offre salvifique de Dieu, mais aussi sa liberté comme créature devant cette offre qui va jusqu’au don pascal. Il perçoit la communion des croyants dans la foi et dans l’amour comme des chemins révélés par le Christ en qui tout est dit.

Le chrétien se perçoit comme homme en constante évolution spirituelle dans la société des hommes comme dans la communauté des croyants en communion ; il sait qu’il doit demeurer vigilant et constant dans la quête de spiritualité. Il se perçoit enfin devenu « fils » de Dieu par la médiation du Christ ; c’est là, une spiritualité à travers laquelle il peut suivre le chemin parcouru ; c’est encore à travers cette spiritualité qu’il sait qu’il doit rester serein et confiant tout en comprenant que sa quête ne peut s’arrêter, car il n’ignore plus que le chemin vers la transcendance doit parcourir son existence parce qu’il est de joie partagée et de communion.

P. Aclinou

Bibliographie :(un extrait)

Les Evangiles.

R. Brague. Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres. Flammarion édit. 2009.

R. Brague. La loi de Dieu. Gallimard, 2005.

M. Buber. Le chemin de l’homme. Edit. Du rocher, 1989.

Maître Eckhart. Du détachement. Edit. Payot, 1995.


[1] Point central de la théologie paulinienne, qui, quoique moins présent aujourd’hui, reste néanmoins une clé essentielle de l’Ecclésiologie. Col 1, 24 ; Ro 12, 4-5 ; 1Cor 12, 12-14 ; 1Cor 12, 27…

Aujourd’hui, l’affirmation pressante qui veut que Jésus soit le sauveur de tout les hommes, doit entrainer que le corps mystique du Christ pour cet unique plan de salut de Dieu,  -selon la théologie chrétienne- englobe tous les hommes, et va donc au delà des seuls baptisés.